Confinement et couverture des pertes d’exploitation, une lueur d’espoir à relativiser pour certains professionnels

Commentaire sur ordonnance du TC Paris du 22 mai 2020

Par une décision motivée, de prime abord très favorable aux assurés, à apprécier avec la plus grande des prudences, le Président du tribunal de commerce de Paris a, en référé, débouté la compagnie AXA de l’ensemble de ses arguments tendant au rejet notamment des demandes de provision émises par la SAS MAISON ROSTANG, restaurateur, au titre de la mobilisation des garanties pertes d’exploitation engendrées par la fermeture administrative de son établissement en raison de la crise sanitaire.

AXA soutenait notamment que :

  • les conséquences d’une pandémie constituent un risque inassurable, ou du moins pas dans un mécanisme d’assurance privé,
  • la clause prévoyant une extension de garantie pour les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative s’applique, à la condition qu’une telle fermeture ait pour origine la réalisation préalable d’un évènement garanti au titre de la perte d’exploitation,
  • l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus interdit uniquement d’accueillir du public, ce qui a pour conséquence que les entreprises concernées par cette fermeture pourraient proposer de la vente à emporter ou de la livraison.

Pour couper court à toute discussion, éviter les contestations sérieuses qui pourraient surgir quant à l’interprétation du contrat et ainsi nécessiter un renvoi de l’affaire au fond, le Président du Tribunal a décidé d’appliquer à cette affaire, jugeant l’argumentation de AXA fantaisiste, le contrat, tout le contrat et rien que le contrat, en faisant fi de l’esprit général de la notion même d’assurance.

Peu importe en effet que le risque pandémique ne soit pas mesurable au niveau national, peu importe les recommandations de l’ACPR (autorité de contrôle) selon laquelle « une garantie portant sur les pertes d’exploitation liées à une pandémie ne serait généralisable à un prix raisonnable que dans le cadre d’un régime obligatoire garanti par l’Etat » (communiqué du 21 avril 2020) et peu importe que juridiquement, l’équilibre de l’assurance repose sur la mutualisation, c’est-à-dire sur le fait qu’il ne soit possible d’assurer un risque que si celui-ci survient à des périodes différentes selon les assurés d’autant que, juridiquement parlant, les conséquences financières d’une pandémie sont d’une nature proche de celles des violences, risques assurables, souvent exclues car, si elles ne sont pas incompatibles avec la technique de l’assurance, l’ampleur de leurs conséquences rend difficile une prise en charge, le Président du Tribunal a décidé que, sans disposition légale d’ordre publique, le seul élément à analyser est le contrat qui constitue la loi des parties.

Le Tribunal juge donc en référé que le risque pandémique est assurable car non exclu expressément par la police et aucune disposition légale d’ordre public ne prévoyant le contraire, que les documents contractuels n’exigent aucun préalable à la prise en charge des pertes d’exploitation dues à une fermeture administrative et que cette fermeture, sur ordre du ministre et non du préfet constitue bien une mesure administrative au sens de la police d’assurance et que proposer la vente à emporter ou la livraison n’est pas une possibilité à prendre en considération pour un restaurant traditionnel qui n’a jamais proposé ce genre de service.

L’interprétation du contrat d’assurance (conditions générales et particulières) était aisée pour le Président du Tribunal et ne nécessitait donc pas de renvoi devant les juridictions du fond, ce que conteste AXA. La décision rendue se veut motivée, solide et anticipant une éventuelle décision au fond.

Cette décision provisoire par son essence même, ouvre la porte à des demandes d’indemnisation d’autres professionnels qui disposent d’extension de garantie perte de chiffre d’affaires en cas de décision de fermeture administrative.

D’autres juridictions se montreraient plus réticentes à trancher ces questions en référé, ainsi en est-il, par exemple, du tribunal de commerce de Lyon qui a renvoyé, le 10 juin dernier, la cause et les parties devant le juge du fond afin que ce dernier se prononce sur l’interprétation à donner aux clauses du contrat d’assurance lesquelles pourraient avoir pour effet de vider la garantie souscrite de sa substance.

Il convient donc pour tous d’accorder une particulière attention à l’évolution de ces dossiers, en gardant en mémoire que la décision rendue le 22 mai dernier est une décision provisoire que les juges du fond pourraient remettre en cause.